Parole à …

Eric BOTHOREL

Député des Côtes-d’Armor

Quelles sont selon vous les priorités d’action ainsi que les réformes de fond à entreprendre en matière de politique industrielle?

Notre appareil industriel persiste dans sa longue convalescence, et ce alors même que les effets de la crise de 2008 s’estompent de plus en plus. Le diagnostic est implacable : entre 2000 et 2015, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée française passe de 15,7% à 11,2% ; sur la même période, l’emploi dans l’industrie manufacturière baisse de 26%. Cette situation de fragilité doit mobiliser toutes les énergies, en particulier alors que la reprise commence à poindre.

Jusqu’à présent, des dispositifs ont été mis en place pour contenir la dégradation de notre compétitivité-prix. Ils ont récemment été renforcés dans le cadre du premier budget du quinquennat. En parallèle, l’Etat s’est livré à une stratégie essentiellement défensive de notre industrie. En témoigne notamment la manière dont il est intervenu dans le cadre des fusions Alstom-Siemens, STX-Fincantieri ou Alcatel-Nokia : l’accent a surtout porté sur la vérification des contreparties et l’évaluation des mesures de sauvegarde de l’emploi.

Il est désormais nécessaire de passer à une logique stratégique et prospective. C’est pour nourrir cette réflexion que j’ai désiré rejoindre la commission d’enquête sur les décisions de l’Etat en matière de politique industrielle de l’Assemblée nationale. Les points de vigilance sont nombreux. Ils tiennent par exemple au niveau du coût horaire français, qui demeure l’un des plus élevés de la zone euro, ou aux insuffisances de notre compétitivité hors-prix. L’objectif est clair : la nécessaire poursuite de la montée en gamme de notre industrie, pour consolider nos capacités industrielles et renforcer notre présence à l’international.

Pour l’atteindre, les pistes de réforme sont identifiées de longue date, et doivent désormais être mises en œuvre. Je ne doute pas que l’exécutif en pendra toute la mesure en élaborant les prochains textes que nous aurons à examiner, et en particulier le projet de loi PACTE. J’espère notamment y trouver des éléments visant à davantage développer le capital-risque français pour soutenir nos jeunes pousses actives dans des domaines de pointe, comme les IoT, la 5G, la cybersécurité ou l’intelligence artificielle. Nos dispositifs de soutien à la R&D, et en particulier le crédit d’impôt recherche, mériteraient aussi d’être re-calibrés vers les TPE-PME innovantes. Enfin, n’oublions pas de mettre un très fort accent sur la formation et les qualifications de nos concitoyens, gages d’adaptabilité et d’autonomie dans un environnement économique de plus en plus mouvant.

Au regard de la transition numérique en cours, quelles seraient vos recommandations pour garantir l’instauration d’un marché du numérique efficace, porteur et sécurisé tant au niveau européen que national ?

Le rapport d’information sur le marché unique numérique, que j’ai co-signé avec ma collègue Constance Le Grip, s’est fixé comme objet d’évaluer la stratégie de la Commission européenne à mi-parcours et de faire le point sur les évolutions réglementaires à venir. Nos conclusions sont reprises dans une résolution européenne qui fut adoptée tacitement le 31 décembre 2017. Elle exprime aujourd’hui la position de l’Assemblée nationale sur le marché unique numérique.

Notre ambition est grande : faire de l’Europe une puissance dominante du numérique et faire émerger des entreprises capables de rivaliser avec les géants chinois et américains. D’après les estimations de la Commission européenne, la réalisation d’un marché unique numérique pleinement abouti et harmonisé représente à terme un accroissement de richesse annuel de 415 milliards d’euros pour nos économies.

Pour en exploiter tout le potentiel, il convient en premier lieu de se départir de certaines idées reçues. Nous avons trop longtemps vécu avec l’idée qu’il faudrait ériger une ligne Maginot numérique. Or, il est illusoire de penser que le seul cadre national permettra de répondre aux enjeux de la régulation dès lors que les services numériques tendent par nature à s’affranchir des frontières. En ce sens, nous faisons la promotion de la libre circulation des données non-personnelles à l’échelle de l’Union. Elle est pensée comme un impératif indispensable à l’exercice d’une véritable concurrence sur le marché des nouvelles technologies, et ce dans l’objectif que nos start-ups puissent renforcer la performance de leurs services et de leurs algorithmes.

En contrepartie, nous mettons en avant la nécessité de renforcer la confiance des citoyens européens dans les technologies numériques. Cette dimension passe notamment par l’existence de fortes garanties attachées à la protection de la vie privée, aujourd’hui prévues par le RGPD et que le règlement ePrivacy viendra compléter, et par la nécessité de redonner à nos concitoyens une certaine maîtrise sur leurs données. Dans cette logique, la notion de consentement libre et éclairé de l’utilisateur ou le droit à la portabilité sont autant d’outils au service de la confiance et de la transparence de l’écosystème numérique. Ils fondent notre avantage compétitif européen et font honneur à nos valeurs humanistes.

Enfin, face à l’insécurité informatique alarmante, il devient urgent d’armer nos entreprises et nos agences publiques. Sur le « paquet cybersécurité », nous considérons que toute forme de certification des produits doit se faire de manière adaptée à chaque type de produit, tout en garantissant un niveau ambitieux de protection. La solidité d’une chaîne est celle de son maillon le plus faible. De la conformité en auto-évaluation à la certification par un organisme tiers, il convient d’adopter la formule la plus efficace en faisant la démonstration de sa pertinence à atteindre un unique objectif : des produits, des processus et des entreprises plus sûrs.

Qu’attendez-vous d’une fédération telle que la FIEEC qui rassemble les industries électrotechnologiques, fers de lance de cette révolution?

Les industries électro-technologiques occupent une place essentielle dans les réponses à apporter aux besoins de notre société, en particulier dans le contexte des bouleversements engendrés par les transitions numériques et énergétiques. Le numérique irrigue dorénavant tous les secteurs d’activité et, à ce titre, nous ne pouvons l’appréhender comme un objet homogène et unifié, qui obéirait à un droit sectoriel. Je suis d’avis que nous devrions plutôt adopter une approche transversale : elle seule comporte toute la souplesse requise pour tenir compte des contraintes et spécificités de chaque secteur économique.

Par sa connaissance fine des acteurs qu’elle représente, et de leurs besoins, la FIEEC m’apparaît comme un interlocuteur indispensable au législateur pour que la réglementation demeure soucieuse des réalités du terrain et comporte un niveau de granularité suffisant. Ce pragmatisme est d’autant plus nécessaire que, comme il est coutume de le rappeler, la loi intervient généralement avec un certain retard sur les évolutions technologiques.

En retour, la position privilégiée de la FIEEC au sein de l’écosystème des industries électro-technologiques pourrait lui permettre de sensibiliser ses membres aux préoccupations des pouvoirs publics. En ce qui me concerne, je pense en particulier à la nécessité que les grandes entreprises adoptent une démarche plus collaborative vis-à-vis de nos TPE-PME innovantes lorsqu’elles les sollicitent en tant que sous-traitants dans le cadre de l’accès à la commande publique.

C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur et sur lequel je serai très attentif lors de l’examen de la loi PACTE. Je ne peux aujourd’hui concevoir que certaines pépites françaises aient plus de facilités à contractualiser avec des gouvernements étrangers faute d’accompagnement suffisant dans notre pays. Certains obstacles juridiques seront sans doute à lever, mais je crois aussi que le droit actuel n’est pas seul responsable. Il importe de surmonter certaines résistances culturelles pour qu’aucune synergie entre grands groupes et petites entreprises ne demeure inexploitée. Cette nouvelle dynamique m’apparaît primordiale pour améliorer la diffusion des technologies dans notre tissu économique et le renforcer suffisamment pour conquérir des marchés à l’international. »